Le jugement qui bouscule l'Eglise catholique
Le jugement qui bouscule l’Eglise catholique
Le 24 juin 2024, deux évêques belges – le cardinal Jozef de Kesel et Mgr Luc Terlinden – ont été condamnés par le tribunal de Malines à payer une amende de 1500 euros pour délit de discrimination de genre. Cette somme sera remise à Veer Duchausoit, une femme qui s’est vu refuser l’accès à la formation en vue du diaconat, au motif que ce ministère, dans l’Eglise catholique, est strictement réservé aux hommes (mâles).
Que peut-on penser de cette décision émanant d’un tribunal civil à l’encontre de prélats qui n’ont fait qu’appliquer la doctrine et la pratique en vigueur dans toute l’Eglise catholique ?
Il faut d’abord avoir la loyauté de le reconnaître : exclure un fidèle catholique d’un bien du Royaume de Dieu – ici l’accès possible aux ministères ordonnés (diaconat, prêtrise, épiscopat) -pour la seule raison que ce fidèle est une femme constitue une discrimination.
Certes, tout ce qui vient du Christ est accordé sous le bénéfice d’une grâce qui ne confère donc aucun droit. Mais cette gratuité vaut pour les hommes autant que pour les femmes. S’appuyer sur la pratique de Jésus selon les évangiles – à savoir l’absence de femmes dans le groupe des 12 apôtres- convainc de moins en moins les exégètes des textes bibliques. Il suffit de remarquer, en contrepoint, l’étonnante liberté du même Jésus dans ses relations avec les femmes. Il suffit encore d’examiner la théologie de l’apôtre Paul lui-même qui rappela cet adage décisif : dans le régime chrétien, plus aucune discrimination demeure, ni juif-païens, ni esclave-homme libre, ni l’homme et la femme, car nous sommes tous devenus des êtres nouveaux par la grâce du baptême.
On peut donc s’étonner que l’Eglise catholique -contrairement aux Eglises réformées - persévère à prolonger une observance qui, si elle a pour elle une longue tradition, peine à apporter des explications et des justifications crédibles dans le contexte d’aujourd’hui.
Et voici que des juges belges replacent cette question dans l’actualité de notre Eglise.
On peut évidemment leur répondre d’une phrase définitive : « Mêlez-vous de ce qui vous regarde. L’Eglise a le droit et le devoir de faire ce qu’elle veut en son sein ». Peut-être ces magistrats ont-ils voulu seulement rappeler à l’Eglise catholique l’état de l’opinion publique concernant un fonctionnement clérical tellement à contre-courant des avancées citoyennes sur le sujet de l’égalité homme-femme.
En réalité, le contentieux est plus profond. Là où l’Etat paie ou subventionne les activités d’une Eglise, il a le droit – et même le devoir – de contrôler si les bénéficiaires des deniers publics exercent leurs missions en conformité avec les principes sur lesquels repose le vivre ensemble sociétal. Or dans cette charte basique figure précisément le respect scrupuleux de l’égalité homme-femme, ce qui exclut toute discrimination de genre. D’ailleurs notre Eglise elle-même, par exemple dans les déclarations du concile Vatican II en 1965 déjà, affirme clairement que « toute forme de discrimination…, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée comme contraire au dessein de Dieu ». Gaudium et spes no 29.
Il serait temps que l’Eglise catholique, si prompte à rappeler leurs devoirs aux Etats, applique intégralement ses conseils en son propre sein.
Dès lors, si l’Eglise catholique – à tort ou à raison- veut continuer d’assumer dans son service cette pratique cléricale d’une discrimination, ne devra-t-elle pas renoncer à ses liens économiques avec l’Etat ? A moins qu’elle revoie sérieusement sa gouvernance concernant l’égalité hommes-femmes. C’est ce que demandèrent déjà en 1972 les Synodes de l’Eglise catholique en Suisse quand ils souhaitaient l’accès possible pour les femmes à tous les ministères en Eglise.
Peut-on attendre du prochain synode à Rome -universel celui-là- des avancées en ces domaines ? Rien n’est moins sûr puisque le pape François en personne s’est prononcé contre une telle évolution doctrinale et pratique. On peut cependant estimer que de telles réformes restent possibles, par exemple en accordant aux Eglises régionales une authentique marge de liberté pour décider en plus grande autonomie sur ce point. Car l’enjeu du synode, n’est-il pas de progresser dans la prise en compte de légitimes diversités sans blesser la communion dans la nécessaire unité ?
On peut encore espérer ! Il faut surtout prier !
Claude Ducarroz
Article qui a paru dans le quotidien Le Temps du 18 juillet 2024
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