Non aux excommunications esthétiques
Non à l’excommunication
esthétique !
D’un certain séjour en prison -à titre volontaire, je
précise-, j’ai retenu une leçon qui a influencé ma (déjà) longue vie de
ministère comme prêtre. Il ne faut jamais réduire une personne au mal qu’elle a
pu faire. Mes contacts humains m’ont révélé que des criminels avaient fait
beaucoup de bien avant de commettre l’irréparable, et pouvaient encore faire du
bien après le retour à la liberté. J’en ai même rencontré qui rayonnaient de
bonté à l’intérieur de la prison.
Je repense à cela dans le contexte des conséquences à
assumer après la révélation des graves abus perpétrés par des prêtres et
religieux dans l’Eglise catholique. Que tout soit clair ! Les faits
doivent être reconnus et assumés. La justice doit se prononcer. Les victimes
ont droit à toutes les réparations possibles, avec la conscience que certaines
blessures sont hélas ! irréparables.
Mais est-ce réparer quoi que ce soit de dénier aux
criminels tout le bien qu’ils ont pu accomplir avant ou hors de leur
forfait ? Est-ce juste de leur ôter l’espérance de réaliser encore du bien
après ? Enfermer quelqu’un pour toujours dans sa faute, c’est ajouter une
prison, ce n’est libérer personne
Marko Rupnik, prêtre jésuite, est un grand mosaïste. On
peut admirer ses travaux, entre autres à Rome, à Lourdes et à Genève. Il a
commis des abus sexuels. Est-ce à dire qu’il faut maintenant démanteler ses
œuvres, dont beaucoup reconnaissent la valeur esthétique et
thématique ? Ses mosaïqués sont-elles devenues maudites parce que leur
auteur a gravement fauté ? Autre exemple : en France voisine, les
vitraux de Louis Ribes, prêtre pédocriminel, ont été décrochés d’une église.
Je peux comprendre que, à la demande des victimes, on
doive disposer d’une information objective à l’adresse des visiteurs de telles
productions artistiques, pour contextualiser telle oeuvre et son auteur. Mais,
dans une impitoyable fièvre puriste, faudra-t-il ôter tous les tableaux du
Caravage qui enchantent nos musées et nos églises, car Michelangelo Merisi
était un fieffé voyou et fut même un assassin ? Va-t-on aussi verrouiller dans une soupente
les peintures de Picasso parce qu’on vient de découvrir -victimes à
l’appui- qu’il eut des comportements détestables et même violents à
l’égard de beaucoup de femmes ?
Notre humanité est très imparfaite. Personne n’est
parfait non plus. Au-delà des
imperfections, des fautes et même des crimes, il faut laisser aux coupables le
maigre mérite du bien accompli auparavant, et oser entretenir le frêle espoir
de pouvoir en accomplir encore après. Notamment par les beautés des arts qui
peuvent produire un certain effet rédempteur.
A moins que nous préférions une société sans rémission,
sans réparation.
Sans pardon, donc sans espérance. Triste !
Claude Ducarroz
Commentaires
Enregistrer un commentaire