Il y a encore des prêtres heureux
« Incoherence bien catholiques! » C’est le titre d’un commentaire de Claude Ducarroz sur le site Cath.ch. L'ancien prévôt de la cathédrale de Fribourg s'étonne que l'Eglise ne confie pas la gouvernance concrète de paroisses à des laïcs, faute de prêtres en suffisance. Il plaide aussi en faveur du mariage des prêtres. Et pour l'ordination de femmes. Des prises de position qui ne surprennent pas tant que ça, venant d'un prêtre engagé et volontiers anticonformiste. Mais «un prêtre heureux», précise-t-il, alors que l'affaire X Y et d'autres polémiques liées au clergé ont secoué l'évêché ces derniers mois. Visite à un retraité optimiste, qui n'a pas perdu l'espoir de voir réformer son Eglise.
Pourquoi ne donne-t-on pas davantage de prérogatives aux laïcs dans l'Eglise?
Claude Ducarroz: Je me pose aussi la question. Il y a de moins en moins de prêtres en activité, ils doivent parfois gérer douze paroisses en même temps. Certains sont écrasés par le poids de leur fonction, en burn-out, ils n'arrivent plus à donner le tour. Oui, il faudrait que les laïcs prennent les choses en main dans l'animation de certaines communautés. Je m'étonne que les laïcs ne puissent pas par exemple prononcer les homélies.
Certains laïcs ne demandent que ça!
Il y a eu des progrès, mais on n'a pas encore soigné l'Eglise d'une maladie qui s'appelle le cléricalisme. C'est-à-dire l'idée que le prêtre est un superhomme qui aurait tous les pouvoirs dans sa communauté, qu'il serait d'une certaine manière le patron d'une entreprise. Une des grandes découvertes du concile Vatican II, qui s'est achevé l'année de mon ordination, en 1965, était la centralité du peuple de Dieu. L'idée que la mission n'est pas réservée à quelques-uns. Il doit y avoir un partage des responsabilités, en particulier avec les femmes qui sont très présentes dans nos paroisses. Dans ma vie, j'ai rencontré beaucoup de laïcs, hommes ou femmes, beaucoup plus saints que moi.
Que resterait-il aux prêtres?
Le ministère des sacrements restera le rôle principal du prêtre. Je ne souhaite pas que des laïcs président la messe. Le prêtre aura toujours une place importante. Malheureusement, le cléricalisme a fait que sous prétexte de sacraliser cette mission, de la rendre un peu exclusive et supérieure, on a occulté la vigueur baptismale au service du monde. Le fait d'être prêtre est une grâce et pas un privilège. Cette fonction ne doit pas avoir l'arrogance d'un pouvoir mais l'humilité d'un service.
Pourquoi le célibat pose-t-il problème?
Vu le manque de prêtres, il faut rendre les voies d'accès à la prêtrise les plus larges possible. Je connais beaucoup de prêtres mariés en Orient. Bien sûr, le discernement des vocations reste nécessaire: c'est le rôle de l’Eglise de faire les choses de façon prudente et raisonnable. Mais pourquoi réserver le ministère du prêtre à la petite minorité qui a une vocation au célibat? On a perdu beaucoup de gens et de valeur à cause de cette règle incontournable.
Vous-mêmes, vous avez souffert du célibat?
Non, le célibat n'a pas été difficile pour moi. Je suis prêtre depuis 55 ans, et je peux dire que j'ai été un prêtre heureux. Je n'ai jamais regretté ce choix. Mais ce n'est pas une raison pour l'imposer à d'autres. Le ministère m'a permis de rencontrer de très bons amis, qui m'ont aidé à vivre. Je tiens à préciser que je n'ai aucun contentieux avec mon Eglise, que j'ai servi de mon mieux, comme beaucoup d'autres confrères. Je ne tombe pas non plus dans l'illusion de penser que le mariage des prêtres réglerait tous les problèmes. Nous constatons tous que le mariage a aussi ses problèmes et ses échecs. J'ai quand même une raison de croire que ce serait mieux car, en Orient, on a toujours réservé les deux possibilités et on n'envisage pas de changer.
Les orthodoxes et les catholiques d'Orient n'ordonnent pas non plus de femmes.
C'est juste, mais je pense qu'on y viendra pour des motifs théologiques. L'attitude de Jésus avec les femmes, et même certains textes de saint Paul montrent que les dons du royaume de Dieu ne justifient aucune discrimination et aucune exclusion. Etre prêtre, c'est un grand trésor, je ne vois pas pourquoi cela devrait rester le monopole de certains.
On attendait un geste du pape François sur la question, et il n'en a rien été. Le regrettez-vous?
Oui. Au départ, il avait l'intention de faire des réformes. Lors du synode sur l'Amazonie, il parlait d'ordonner des hommes mariés là-bas. Mais, si c'est possible en Amazonie, d'autres le demanderaient ailleurs. J'ai d'ailleurs écrit un article qui s'intitulait «C'est où l'Amazonie?»
François est courageux, mais je pense qu'il y a autour de lui une camarilla de gens qui ont peur et lui recommandent la prudence. Et le pape devient un peu âgé. C'est pour cela que je pense qu'il faudrait un nouveau concile. Vatican Il avait fait de grands pas en avant avec l'œcuménisme et la liturgie populaire. Je suis le témoin de cette époque, et je passe parfois pour un soixante-huitard aux yeux de certains, cela ne me gêne pas. Je continue de témoigner pour une Eglise à la fois populaire et ouverte, dans l'esprit de l'Evangile.
L'ordination des femmes ne semble pas être à l'ordre du jour à Rome...
C'est une question de temps. J'y tiens beaucoup. L'Eglise doit s'interroger très fort à ce propos. Sans les femmes, les communautés ne tourneraient pas. On commence heureusement à nommer des femmes dans les instances dirigeantes. Quand vous avez un clergé entièrement masculin et célibataire, une femme est au mieux la servante, au pire un danger. C'est un peu drôle de voir que dans le chœur des églises il n'y a que des hommes en robe et dans la nef que des femmes en pantalons (rires). C'est un peu l'ironie du Saint-Esprit.
Quel regard portez-vous sur l'affaire du doyen de la cathédrale et des rebondissements liés à la nomination de son successeur?
Je ne souhaite pas m'exprimer à ce sujet maintenant. Il est temps de laisser reposer ces choses, qui sont une grande souffrance pour les communautés. Une remarque quand même: je me demande parfois comment il se fait qu'il y a tellement de problèmes sur ce plan chez les ministres catholiques alors qu'on en parle très peu dans le pastorat protestant. C'est peut-être un argument de plus pour favoriser un vrai choix par rapport au célibat.
Interview réalisé par Patrick Chuard, dans le journal La Liberté du mercredi 12 août 2020
Commentaires
Enregistrer un commentaire