Scanner d'une réforme

 

Scanner d’une réforme


Une jungle administrative et juridique ! C’est l’impression que laisse, de prime abord, la lecture des 250 articles de la Constitution apostolique « Praedicate evangelium »

promulguée par le pape François le 19 mars 2022. Plus sérieusement, il s’agit d’un document important consacré à la réforme de la Curie romaine « dans son service à l’Eglise et au monde ».


Une gestation très longue, et probablement une naissance compliquée !

Après la « renonciation » du pape Benoît XVI (11 février 2013), la réforme de la Curie romaine s’est aussitôt imposée au calendrier du futur pape. Les cardinaux en conclave n’ont pas manqué d’y consacrer de larges tranches de discussion animée. Elu dans cette conjoncture (13 mars 2013), le nouveau pape François a bien compris le message. Il a aussitôt constitué un conseil spécial de cardinaux (13 avril 2013) pour l’assister dans cette délicate mission. 40 sessions plus tard, le fruit de cette laborieuse maturation vient au jour de l’Eglise. Il faut s’en réjouir. Encore convient-il d’ausculter attentivement les espérances de vraie réforme qu’il contient.

 

Synodalité, s’il vous plait

 

Le ton est donné par le titre très significatif : « Praedicate evangelium ». Oui, tout l’organisme complexe de la Curie romaine ne doit répondre finalement qu’à une seule mission : annoncer l’Evangile, par l’Eglise et dans le monde d’aujourd’hui. Cette priorité absolue est régulièrement rappelée tout au long du texte. Elle devient évidente quand on observe que le dicastère dédié à l’évangélisation est cité en premier et présidé – lui seul – par le pape en personne au titre de préfet. Un signe fort. Cette évangélisation comporte elle-même des priorités très parlantes : la miséricorde conjointe avec le soin à prodiguer aux plus pauvres et souffrants. Tel est le programme de la conversion en cours dans l’Eglise entière.


Pour réaliser cette mission de communion, la Curie romaine se met au service du Pontife romain, mais aussi à celui des Eglises particulières, très souvent mentionnées. La Curie ne doit pas être un Etat dans l’Etat au Vatican, mais un ministère tout dévoué à la catholicité de l’Eglise qui passe, entre autres, par les évêques dispersés à travers le monde. C’est l’esprit de synodalité, cher au pape François qui précise : le pape et les évêques forment un seul corps épiscopal et la Curie romaine ne doit jamais s’interposer entre eux (no 8). D’ailleurs la synodalité n’est-elle pas « la marche commune du troupeau de Dieu sur les chemins de l’histoire vers le Christ Seigneur » ? (no 4) Dès lors la Curie doit étudier les problèmes les plus graves « toujours en accord et dans le respect des compétences des Eglises particulières » (no 21).


La logique pastorale doit donc toujours l’emporter sur la logique administrative, grâce aux décentralisations nécessaires et avec l’attention due aux diversités légitimes parmi les Eglises locales ou régionales. D’ailleurs, après un service de 5 années au sein de la Curie romaine, ses « fonctionnaires » sont invités à retourner à la pastorale dans leurs diocèses (no 17). Le lien avec les périphéries de l’Eglise est bien mis en évidence. Il faut tenir compte des avis des conférences épiscopales, il faut les suivre avec diligence et sollicitude, dans un esprit de dialogue franc et fraternel. Même le dicastère de la doctrine de la foi est invité spécialement à dialoguer avec les auteurs qu’il viserait par ses démarches de discipline (no 73).

 

Et les laïcs ?

 

Qu’en est-il de la place des laïcs dans cet organigramme si complexe ? Elle reste encore modeste, mais elle est opératoire à l’un ou l’autre virage significatif. Les laïcs sont partie prenante institutionnelle de la réforme :

 

  • il faut prévoir la participation des laïcs, même dans des rôles de gouvernement et de responsabilité, car leur présence est indispensable (no 10)

 

  • tout fidèle peut présider un département ou un organe, compte tenu de sa compétence et de sa fonction (no 12,5)

 

  • quelques fidèles laïcs peuvent s’ajouter aux membres des institutions curiales (no 15)

 

  • les membres du peuple de Dieu doivent être associés au processus de nomination des évêques (no 105)

 

En résumé : ne devrait-il pas y avoir partout, dans les instances de la Curie, une présence active de laïcs – hommes et femmes – au titre de leurs expériences et de leurs bons conseils ? A fortiori dans les dicastères voués à la famille (no 128), au social et à la formation. Aucun laïc dans le Tribunal suprême, extrêmement clérical (no 195), mais ils sont bien présents – heureusement ! – dans les organismes économiques (no 206). Voilà qui rassure !


Et les femmes ? me direz-vous. On sait combien le pape François est convaincu qu’il faut leur accorder une place plus importante dans la vie et l’organisation de l’Eglise. Dans ce document sur la réforme de la Curie, elles sont presque ignorées « comme telles », mais on peut supposer qu’elles sont incluses dans la notion de « laïcs ». Cela va sans dire ? C’est encore mieux en le disant … et en le faisant. Le pape a déjà nommé plusieurs femmes dans les dicastères de la Curie, comme c’est le cas dans l’organe consacré au développement humain intégral (no 164) et au secrétariat du synode des évêques.

Il est aussi rappelé (no 131) que le dicastère pour les laïcs doit approfondir la réflexion pour développer « des modèles de rôle de direction pour les femmes en Eglise ». On attend avec impatience !


Et les fameuses périphéries humaines ? On repère une attention bienveillante à l’égard des personnes expérimentant des ruptures dans le mariage (no 137) ou impliquées dans l’avortement (no 138). Musulmans, juifs et non-croyants ne sont pas oubliés … brièvement.


L’œcuménisme est-il pris en compte comme une dimension de toute la vie de notre Eglise ? Evidemment, il figure dans le dicastère consacré à promouvoir l’unité des chrétiens. C’est encore un minimum : oui à la collaboration d’experts (no 143) et à l’invitation à des observateurs ou « délégués fraternels » d’autres Eglises pour les événements importants de l’Eglise catholique (no 144). On aurait pu s’attendre à voir mieux émerger ailleurs une véritable collaboration œcuménique dans les dicastères majeurs, au titre d’information et de conseil bienvenus.

 

Prophétique ?

 

En résumé, on sent aussi un souci de modernisation dans la réforme des structures économiques et des instances de justice. Plus de de professionnalisme, plus d’insistance sur la pastorale, plus de transparence aussi. Mais il ne faut pas en conclure que le document « Praedicate evangelium » est un manifeste prophétique. Il précise les fonctionnements, il rappelle opportunément les missions, il ouvre à davantage d’universalité, il traite de quelques sujets délicats (par ex. les abus, la rigueur financière).

Mais il appartient au prochain synode (2023), après large consultation des bases ecclésiales, de lancer sans doute de nouvelles réformes, plus fondamentales. On peut l’espérer. Elles équilibreront mieux la distribution des responsabilités entre la centrale romaine et la juste autonomie ecclésiale des régions et continents. Elles oseront peut-être aborder de manière plus libre et plus apaisée la question lancinante – du moins en Occident latin – des ministères ordonnés ou institués.


Relevons une espérance : un dicastère est chargé d’évaluer et d’approuver les propositions d’établissement de nouveaux ministères et charges ecclésiastiques à confier aux laïcs selon les besoins des Eglises particulières (no 133). La pratique synodale d’écoute du peuple de Dieu et de respect des diversités devrait peu à peu imprégner les pratiques d’autorité pour aboutir à une Eglise de meilleure communion universelle et à une pastorale de plus fraternelle proximité, libérée de tout cléricalisme.  


On sent chez le pape François une volonté de maintenir et même accentuer le rayonnement de l’Eglise dans le monde tel qu’il est, avec ses urgences d’engagement pour la dignité humaine, la solidarité avec les pauvres et la promotion de la paix, toutes valeurs profondément évangéliques.


Sans tomber dans la mondanité, évidemment, mais en gardant l’identité et la fécondité du levain de l’Esprit en l’insérant courageusement dans la pâte humaine.

 

Mai 2022                                                                      Claude Ducarroz

 

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