Quel avenir pour les ministères dans notre Eglise?

 Notre Eglise catholique

Amour, douleurs, questions, espoir !

Je l’aime

Autant l’avouer tout de suite : j’aime l’Eglise, l’Eglise des Eglises, celle qui nous vient de Jésus, celle qui est animée par son Esprit. Il y a 59 ans que je sers l’Evangile comme prêtre dans cette Eglise-là, certes très imparfaitement, mais aussi -je crois pouvoir le dire en toute humilité- sincèrement et même joyeusement.

Je souffre

Les statistiques ne disent jamais l’essentiel, surtout quand il s’agit de l’action de Dieu dans les coeurs et les vies des personnes.  

N’empêche qu’un certain regard posé sur l’écume de l’Histoire, y compris celle de notre Eglise chez nous actuellement, a de quoi nous inquiéter.

Pour en rester à ce qui est le plus visible, il faut bien le constater : 

- la proportion des catholiques en Suisse diminue inexorablement, tandis qu’explose celle des « sans appartenance religieuse »

- la participation des fidèles aux célébrations liturgiques a fondu comme neige au soleil

- les jeunes générations sont très rares dans nos rangs

- les maisons religieuses ferment les unes après les autres, y compris les monastères

- la relève dans notre clergé -religieux comme diocésain - a atteint la cote d’alerte

- les tristes abus commis dans le personnel ecclésial ont fortement augmenté les sorties d’Eglise

- la perte de crédibilité de notre Eglise et de ses autorités devient très inquiétante.

- … et la liste peut s’allonger encore.

Evidemment, on doit aussi dresser la liste des nombreux témoignages d’engagements généreux dans nos communautés chrétiennes et dans la société « à cause de Jésus et de l’Evangile ». Merci à elles et eux !

Pour parer au plus urgent…

Comment notre Eglise a-t-elle réagi, et singulièrement nos responsables ? Pour focaliser sur la question des divers ministères, reconnaissons certaines adaptations plus ou moins opportunes.

Face au manque endémique de prêtres, nos autorités ont pu compter d’abord sur l’apport généreux de certaines congrégations religieuses. Puis des prêtres sont arrivés de l’étranger, par exemple du Viet Nam et surtout de Pologne et d’Afrique.  Ces échanges entre Eglises sont en soi très positifs, surtout quand l’inculturation réussit. 

Mais tant de générosité ne doit pas occulter le fait que nos communautés indigènes ne sont plus en mesure d’offrir durablement à l’Eglise les ministères suffisants, surtout ceux qui relèvent de l’ordination ou de l’institution selon les formules traditionnelles.

On a aussi confié progressivement à des laïcs -hommes et femmes – des responsabilités de plus en plus importantes. Mais une certaine théologie, qui conjoint nécessairement le ministère des sacrements avec l’autorité sur la communauté, empêche souvent d’attribuer à ces « simples chrétiens », fussent-ils bien formés, de vraies missions de direction et d’animation communautaires. 

Malgré quelques initiatives plutôt innovantes, comme celles qu’a prises Mgr Morerod dans son diocèse, nous ne sortons pas du tarissement des ministères, qui fait souffrir de nombreuses communautés en manque de serviteurs et servantes « à plein cœur et à plein temps. » Et que dire de l’annonce de l’Evangile au-delà des cercles des Eglises ? Que devient l’évangélisation en plein monde ?

Et pourtant…

Il y a 50 ans, au temps de la célébration des Synodes 72 dans l’élan du concile Vatican II, certaines décisions et recommandations prophétiques ont été prises. 

A titre d’exemples :

- Le peuple de Dieu doit être toujours plus associé aux décisions concernant la vie de l’Eglise  no 83

- Ceux qui portent une responsabilité particulière dans l’Eglise doivent mettre tout en œuvre pour que la pluralité des ministères soit accueillie, reconnue et promue partout  no 95

- Que les laïcs prennent leurs responsabilités dans l’animation des communautés et l’évangélisation  no107/5

- Que les femmes puissent aussi recevoir l’ordination au diaconat  no 110

- Que l’étude de la question de l’ordination presbytérale de la femme soit poursuivie  no112

- Que les évêques puissent ordonner prêtres des hommes mariés qui ont fait leurs preuves par leur vie et leur service de l’Eglise  no 413

- Que les prêtres dispensés (de l’obligation du célibat) puissent ré-exercer leurs ministères.

 Dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, toutes ces demandes ont été réitérées et même renforcées au cours de l’assemblée diocésaine AD 2000. 

On peut le regretter : beaucoup de ces demandes sont restées lettre morte. On n’a pas vraiment écouté la voix du peuple de Dieu.

Et en attendant ?

On sait combien la messe est au cœur de la vie de l’Eglise catholique. Devant la pénurie croissante des ministres-présidents, on propose de rassembler les « pratiquants » dans des centres transformés en « pôles », avec le risque de désertifier les périphéries. D’autres estiment qu’il faut animer un peu partout des rassemblements dominicaux dans la prière et autour de la Parole de Dieu, mais sans distribution de la communion eucharistique. Cependant des communautés désirent que ces célébrations -en absence ou en attente d’un prêtre- culminent dans le don de la communion au Pain de vie. Au final : beaucoup de prêtres fatigués, des laïcs engagés qui souffrent - y compris de certains cléricalismes-, des communautés qui se sentent un peu abandonnées. Une ambiance lourde, pessimiste, malgré les efforts généreux de beaucoup de bonnes volontés.


Quelle issue ?

Il faut cesser de gémir ou de regretter. Il faut oser des solutions nouvelles comme aux périodes des grandes réformes dans l’histoire de l’Eglise.

Bien sûr : personne n’a une baguette magique pour « sauver l’Eglise », car c’est essentiellement l’œuvré du Christ avec l’Esprit de son Evangile. Mais notre devoir, dans la prière fervente, c’est aussi de chercher ensemble des chemins nouveaux qui peuvent nous conduire vers un renouveau de vision et d’action au sujet des ministères. 

Trois affirmations peuvent nous stimuler :

Vatican II : 

Que les laïcs s’ouvrent à leurs pasteurs de leurs besoins et de leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent.  Ils ont la faculté et parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise. Lumen gentium  37


Synode 72

Que les communautés n’attendent pas seulement que l’évêque leur envoie les ministres, mais qu’elles développent d’abord leurs propres possibilités.  No 97/5

AD 2000

 Que les communautés chrétiennes fassent des projets et qu’elles appellent pour ces ministères les personnes chez lesquelles elles discernent les charismes adaptés  7/13

Il est donc urgent de changer de paradigme pour l’appel et l’institution des ministères. Comme aux temps apostoliques, à partir de la fidélité dans l’essentiel, faisons d’abord confiance à l’Esprit qui appelle sans cesse, avec une entière liberté, des hommes et des femmes dotés des charismes qui correspondent aux multiples besoins de l’évangélisation et des services, dans l’Eglise et dans la société. Merveilleuse diversité, qu’il ne faut jamais éteindre sous le poids de traditions paralysantes.

Repartons de la base, du peuple des baptisés ! Que nos communautés -les petites comme les grandes- puissent discerner en elles les personnes qui pourraient assumer des services évangéliques : les nécessaires, comme les ministères ordonnés, mais aussi simplement les utiles, au gré des circonstances.

Même pour les ministères ordonnés -prêtres et diacres-, il doit y avoir une belle liberté de proposition : hommes et femmes, célibataires ou mariés, veufs et veuves, chrétiens de toutes origines et toutes conditions sociales, etc…

Evidemment, il s’agit ensuite de pratiquer un sage discernement, un accompagnement rigoureux, une formation sérieuse, avant l’envoi en mission par l’autorité ad hoc, le cas échéant après ordination sacramentelle ou consécration liturgique.

Il y aura forcément des innovations et des surprises, à vérifier, à expliquer, puis à accueillir.  Certaines initiatives provoqueront de nouveaux problèmes, tout en présentant de nouvelles opportunités bienvenues. 

C’est le beau risque de la foi, toujours accompagnée de la prière communautaire, dans la communion avec nos pasteurs. Mais dans la situation ecclésiale qui est la nôtre, il faut oser emprunter des chemins inédits, avec prudence, mais aussi avec l’audace de la confiance.

Quand on aime l’Eglise du Christ et de l’Esprit, on se met à leur disposition, humblement certes, mais aussi généreusement. Ne serait-ce pas le propos de l’actuel synode à Rome ?

Un vieux prêtre m’a dit un jour : « J’aime tellement les traditions que j’en crée de nouvelles ! »

Chère Eglise, à Dieu vat ! Claude Ducarroz 

Cette réflexion est à la base de l’interview parue dans La Liberté du 6 avril 2024.









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