L'Eglise catholique et les femmes
Hommes-femmes
Quelle égalité
dans l’Eglise catholique ?
Tandis que l’Eglise protestante de Genève se demande comment
elle peut « dé-masculiniser » Dieu, l’Eglise catholique romaine – à
la faveur d’un prochain synode qui devrait aussi « dé-cléricaliser »
l’institution – se propose de mieux écouter les femmes, « avec l’esprit et
le cœur ouverts, sans préjugés ».
On applaudit à cette bonne intention ! Mais ira-t-elle,
pour tordre le cou à l’antique patriarcat qui l’entrave, jusqu’à remettre en
question l’ordination au presbytériat, strictement réservée aux hommes
(mâles) ? On peut en douter, on n’ose l’espérer !
Chaque fois que l’on a tenté de replacer ce thème sur le
tapis ecclésial, Rome a aussitôt réagi en rappelant que l’Eglise catholique,
depuis toujours et pour toujours, ne s’estimait pas autorisée par la Parole de
Dieu et la Tradition, à déroger à cette règle en forme d’interdiction absolue.
Certes notre Eglise apprécie et encourage les femmes qui exercent toutes sortes
de services dans nos communautés chrétiennes. On peut et on doit élargir encore
le champ possible de ces engagements généreux, y compris jusqu’à certains
organes de conseil et de décision. Mais pas question que les femmes puissent
franchir la frontière sacrée qui leur permettrait de devenir prêtre, voire
simplement diacre, a fortiori évêque.
La conclusion s’impose : dans notre Eglise, certains
biens du Royaume de Dieu – qu’on peut nommer des « grâces » - ne sont
pas accessibles à tous puisque les femmes – uniquement parce qu’elles sont
femmes – ne peuvent prétendre exercer les ministères ordonnés, alors même
qu’elles en ressentiraient l’appel, moyennant discernement, formation et
consécration.
Osons le dire ! Il y a là une discrimination de moins en
moins acceptée et acceptable. Encore faut-il en comprendre la motivation dans
l’histoire de l’Eglise.
Pour en rester au Nouveau Testament, deux courants irriguent
les textes de référence ainsi que la pratique ecclésiale subséquente.
Sans oublier le rôle éminent de certaines femmes dans le
mystère du Christ – à commencer par sa mère Marie de Nazareth -, il faut
reconnaître que Jésus n’a choisi ses apôtres que parmi des hommes dont on
connaît les noms et reconnait la mission singulière. Mais retenons aussi que ce
même Jésus n’a cessé, dans ces relations avec les femmes, d’exhiber une liberté
étonnante et une audace prophétique, nonobstant les us et coutumes en vigueur
en ce temps et en ces lieux. De nombreuses femmes furent pleinement du nombre
de ses disciples. Beaucoup – quelle bravoure ! – le suivirent pas à pas,
et même jusqu’au bout, au pied de la croix. Par certaines femmes au profil
marginal, Jésus s’est laissé toucher, ce qui n’a pas manqué de scandaliser les
apôtres et d’autres notables masculins. On le lui a fait savoir. Mais Jésus a
persisté en leur donnant en exemple la foi de quelques femmes. Plus
encore : ressuscité, il est d’abord apparu à une femme – Marie de Magdala
– en lui confiant la mission d’aller annoncer cette « bonne
nouvelle » aux apôtres, au point que certains théologiens n’ont pas hésité
à la désigner comme « apôtre des apôtres ». Dès lors, déduire du fait
que les 12 apôtres étaient des hommes, une volonté du Christ d’exclure à jamais
les femmes des ministères ordonnés, est une interprétation fort contestable,
soit des textes bibliques, soit de l’attitude même de Jésus à l’égard des
femmes. Aurait-il voulu cette exclusion, personne n’en donne la raison profonde
de manière crédible.
Le constat est le même quand on étudie les lettres de saint
Paul. Soucieux d’organiser correctement les activités dans les communautés, il
suit spontanément les traditions dominantes en son temps. C’est pourquoi il
impose aux femmes des comportements qui reflètent fidèlement la société
patriarcale en vigueur. Mais quand il s’élève au niveau des principes fondés
sur la nouveauté évangélique, Paul devient libre et libérateur, au point d’oser
affirmer que, compte tenu de la révolution chrétienne, toute discrimination
doit être bannie, y compris celle qui s’appuierait sur la différence sexuelle
homme-femme. Dans le Christ, répète-t-il, c’est l’égalité parfaite , sans
aucune discrimination. (cf. Gal 3, 26-28)
On peut s’étonner que, dans le développement du
christianisme, la ligne d’adaptation aux mœurs de la société ambiante ait le
plus souvent prévalu sur la nouveauté prophétique générée par l’annonce de
l’évangile. Sans doute, des mouvements et des institutions ont-ils parfois
apporté aux femmes des formes de libération et de promotion, notamment par la
vie religieuse. Mais il faut avouer que le patriarcat, y compris jusqu’à un
cléricalisme prégnant, a longtemps donné le ton dans l’histoire de l’Eglise et
des Eglises. Jusqu’à ce jour par exemple, dans les mondes catholique et
orthodoxe, on n’a jamais envisagé sérieusement l’accès aux ministères ordonnés
pour les femmes, ce qui revient à les priver d’une part importante des grâces
issues de la mise en pratique de l’évangile. Il en va tout autrement dans les
Eglises réformées, même si la fonction pastorale ne coïncide pas en tous points
avec le ministère dit « sacerdotal ». Par exemple à Genève, la
première femme consacrée « pasteure » est déjà signalée en 1929.
Il faut pourtant rappeler que, même dans l’Eglise catholique
chez nous, des demandes allant dans le sens d’une possible ordination des
femmes ont été clairement exprimées. Ce fut le cas au synode suisse de 1972,
comme à l’assemblée diocésaine AD 2000 pour le diocèse de Lausanne, Genève et
Fribourg. Quoique prudentes, ces pétitions sont tombées rapidement dans les
oubliettes des autorités ecclésiastiques masculines, les seules à décider en
ces matières.
Qu’on me comprenne bien. L’ordination de femmes – comme celle
d’hommes mariés dans notre Eglise latine – apporterait certainement un
supplément bienvenu à la quantité et à la qualité des services en Eglise. Encore
faut-il que les communautés elles-mêmes soient préparées à accueillir de telles
nouveautés avec bienveillance et même reconnaissance. De plus, il n’est pas
question de prétendre que l’engagement de femmes-prêtres déferait par miracle
tous les nœuds liés au pouvoir et au cléricalisme. Chaque virage important dans
la vie de l’Eglise apporte son lot de nouvelles grâces, mais aussi son poids de
nouveaux problèmes.
Ce qui est en jeu n’est pas de l’ordre d’un bénéfice utilitaire
immédiat, mais plutôt l’exigence d’une conversion à la logique de l’évangile,
lequel place tous les baptisés dans le bain d’une même grâce universelle quand
il s’agit de témoigner du salut christique dans le monde, chacun selon ses charismes.
Le fait que, dans notre monde précisément, les femmes luttent désormais pour
plus de respect, de dignité et d’égalité ne peut qu’encourager notre Eglise à
revisiter ses sources en vue de courageuses décisions, en conformité avec le
« féminisme » de Jésus. Pourquoi se priver des manières féminines de
servir comme prêtre ?
Puisque nous sommes en Suisse, il convient d’ajouter un volet
plus politique. Dans la constitution suisse (art. 8) comme dans les
constitutions cantonales, le principe de la parfaite égalité
« hommes-femmes » est partout affirmé.
Quand il s’agit de la vie personnelle et des organisations
sociales privées, chacun peut prescrire des conditions de fonctionnement
librement assumées. On trouve des associations qui regroupent uniquement des
hommes ou des femmes.
Or chez nous, les Eglises sont des structures qu’on peut
appeler mixtes. Elles sont pleinement respectées dans leurs buts et leurs
usages propres, compte tenu de nos grandes valeurs démocratiques. Cependant,
dans la plupart de nos cantons, l’Etat reconnait officiellement les Eglises et
leur accorde même un soutien tel que les citoyens, par les impôts généraux
(Vaud) ou paroissiaux (Fribourg), sont obligés de subvenir aux besoins
économiques de ces Eglises. Cet appui étatique, explicite ou implicite, devient
un devoir légal qui autorise un droit de contrôle.
J’ai remarqué un phénomène nouveau et significatif. Des
citoyens-paroissiens expriment parfois leur volonté de ne plus participer au
financement de l’Eglise catholique par le biais d’un budget prescrit. Par cette
démarche, ils veulent protester contre le fait que, à leurs yeux, l’Eglise
catholique ne respecte pas en son sein la règle de l’égalité
« homme-femme » que l’Etat promeut, voire impose. S’appuyer sur un
tel Etat pour en obtenir des avantages – notamment économiques – devrait
impliquer, selon eux, que les Eglises soient les premières
« obéissantes » à cette injonction d’égalité, ce que ne fait pas
l’Eglise catholique. Dont acte.
Claude Ducarroz
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