Hommage à + Michel Corboz
+ Michel Corboz
Homélie
Bienheureuse
musique ! Un sublime cadeau, qui coule d’une source magique, à travers
ceux et celles qui l’accueillent et la partagent, pour améliorer le monde par
son enchantement. Comment ne pas goûter, avec révérence et gourmandise, au
mystère des sons devenus sens, quand ils s’habillent de beauté, quand ils
allument les émotions, quand ils soulèvent l’âme vers cet au-delà qu’on peut
appeler un divin silence, le nom secret de Dieu quand il préfère rester
anonyme ?
Il y a dans la musique et le chant, à commencer
par ceux qu’on appelle « sacrés », une intense puissance de bonheur -
sensuel et spirituel -, mais aussi une pressante invitation au dépassement vers
la splendeur que seul Dieu peut promettre et offrir aux assoiffés de telles
joies.
Michel
Corboz, par une vocation de toujours, a été l’apôtre fidèle de cette précieuse
mission : être le sourcier des beautés musicales, être le berger passionné
de celles et ceux qui veulent en vivre, être le serviteur d’un festin de
culture ouvert à tous.
Il y a
une espèce de sacerdoce, les rituels d’une célébration, dans l’investissement
de toute une longue vie dans la défense, l’explication et l’illustration des
œuvres majeures des plus grands musiciens de notre histoire occidentale.
Sans oublier que Michel a composé lui-même,
avec humilité certes, mais aussi avec talent.
Et puis,
il y avait la marque « Michel », unique et rayonnante. Son grand cœur
teintait toutes choses des couleurs de l’amour, des frémissements du cœur,
jusqu’à déborder parfois. Mais sans jamais sacrifier les messages des
partitions sur l’autel des impressions épidermiques. La ferveur se nourrissait
aussi de rigueur. Même ses excès étaient le signe d’une obsession du beau qu’il
fallait à tout prix aller chercher jusque dans ses profondeurs, et exprimer
dans toutes ses splendeurs.
On ne va
pas récupérer Michel dans un religieux facile ou une spiritualité de façade. Il
s’agenouillait d’abord devant les partitions de ses maîtres, lui dont il disait
que la musique était sa vraie patrie. En ajoutant qu’il était trop
merveilleusement terrestre pour être taxé de mystique. « Un peu spirituel »
suffisait à son aventure humaine.
Mais il
dit aussi qu’il avait le goût du sacré, l’humble conscience, quelque part, de
créer de l’éternité. Je ne puis m’empêcher de risquer ce commentaire un peu
osé : Michel, le sachant ou non, a brassé pour nous des étoiles de Pâque
qui brillent encore en nos cœurs et qui, pourquoi pas ? pointent vers un
autre soleil, celui de la vie éternelle en Dieu.
Car je
crois que toute beauté pure, comme tout amour vrai, contient sa royale semence
d’immortalité. Les Bach, Mozart, Beethoven et tant d’autres, hier et encore
aujourd’hui, cachent dans leurs œuvres des germes divins, comme ces lys des
champs dont l’évangile nous dit que Dieu les habille lui-même de beauté, au
point que Salomon, dans toute sa gloire, fait pâle figure à leur côté.
Quel
bonheur alors, pour celles et ceux qui mettent leurs charismes, tout leur amour
et finalement leur vie, au service de tels trésors ! Ils le font afin de
les faire goûter au plus grand nombre, sans les griffer, mais en les exaltant.
Michel était de ceux-là, avec sa personnalité propre, son enracinement
gruérien, ses assises familiales, son aura internationale, ses sourires et ses
colères, son regard et ses mains si souvent tournés vers le ciel.
Et
maintenant, me direz-vous ? La baguette du chef est déposée sur le
piano ; il a tourné la dernière page de sa Passion à lui ; les
chanteurs, les chanteuses et les musiciens plongent dans un pieux silence. Et
sa famille verse les larmes de sa tristesse.
Et nous
sommes là, ses nombreux amis, ses admirateurs et admiratrices, pleins de
gratitude. Que reste-t-il ? De chers et bénis souvenirs, en famille, à
Fribourg, à Lausanne, à Genève et au Portugal. Et ailleurs dans le monde.
Il y a aussi ses nombreux disques, pour nous
permettre de retrouver, autant que cela se peut, les arabesques de ses doigts,
les fulgurances de son visage, le souffle de son inspiration destinée, comme il
l’avouait, à bénir, à apaiser mais aussi à tourmenter.
Mais je
fais un pas de plus, celui de la foi, que je vous propose sans l’imposer à quiconque :
il reste Michel lui-même, sa riche personnalité, tel qu’en lui-même l’éternité
l’accueille, le transfigure, le rend totalement pascal à la suite de Jésus
ressuscité.
Au point
qu’il peut maintenant chanter ce qu’il a un jour composé pour la
liturgie : « O ma joie, quand je suis parti pour la maison du
Seigneur. »
Où ?
Comment ? Ce serait à lui de nous le dire. Mais peut-être dirige-t-il déjà
quelque chœur des anges, qui n’ont qu’à bien se tenir, sous son experte et
chaleureuse direction.
Quant à
nous, dans la variété de nos convictions, mais dans une reconnaissance émue et
unanime, nous pouvons répéter comme Jésus, pour Michel, avec lui :
« Père, je remets mon esprit entre tes mains. In manus tuas, commendo
spiritum meum ! »
En ajoutant, parmi nos larmes scintillantes de
musique : Requiem aeternam ! Repose en paix ! Ruht wohl, Michel.
Claude
Ducarroz
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