Homélie 5ème dimanche de Carême 2021

 

Homélie

5ème dimanche de Carême

Jean 12,20-33

« Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la Croix ». Telle est la réflexion du philosophe Nietzsche en 1883 quand il évoquait le christianisme. Et il ajouta en décrivant les prêtres : « Jusque dans leurs discours, je flaire encore le vilain relent des sépulcres. »

 Il nous faut peut-être oser entendre une critique aussi venimeuse. D’autant plus que les lectures de la liturgie de ce dimanche nous parlent abondamment, directement ou indirectement, de la croix du Christ.

L’épître aux Hébreux cite le grand cri et les larmes de supplication de Jésus sur la croix. Jésus lui-même, après avoir mis en évidence le blé qui tombe et meurt en terre, annonce qu’il sera élevé de terre, mais en ajoutant qu’il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir. Autrement dit la croix.

Les chrétiens, au cours de leur histoire, ont placé la croix un peu partout, depuis les bords des chemins jusqu’au sommet des clochers et des montagnes, en passant par nos pieuses poitrines. Ne sommes-nous pas devenus « des blasés de la croix », en cessant de nous poser sérieusement la question de sa signification ?

 Avons-nous imaginé ce que peut ressentir une personne étrangère à notre culture, qui voit des croix pour la première fois, avec souvent un crucifié dessus, un homme pendu et mourant ?

Je ne veux pas soupçonner la sincérité des chrétiens - j’en suis- qui respectent la croix et vénèrent le crucifié. D’autant plus que cet instrument de supplice, particulièrement horrible à ses origines, est devenu maintenant le symbole quasi universel de la souffrance humaine. « Chacun doit porter sa croix, dit-on. C’est ma croix, je fais avec. »

 Derrière ces mots, comment ne pas reconnaître, accueillir et surtout soulager toute la misère humaine, physique ou morale, personnelle ou relationnelle, sociale ou culturelle, qui broie tant de corps, de coeurs et d’âmes au point de les faire douter de l’existence ou de la présence de Dieu ?

 Devant les croix des humains, quels qu’ils soient, je ne me précipite pas dans de grandes et pieuses théories. Je fais silence, je prie et je tends humblement la main du cœur, ne serait-ce que pour alléger, si peu que ce soit, le poids de leur croix. Et tout le reste demeure mystère, question sans réponse définitive ici-bas, seulement incitation et invitation à l’espérance malgré tout.

Oui, l’espérance. Parce que c’est la croix du Christ, y compris la leur, même s’ils ne le savent pas, ne le croient pas ou plutôt n’arrivent pas à y croire.

 

Qu’était la croix pour Jésus de Nazareth ? Pas le prix à payer pour apaiser un Dieu cruel qui voudrait retrouver sa gloire en punissant les infidèles pécheurs que nous sommes. La croix ? Un double message, comme le croisement de ses deux dimensions.

Et d’abord la solidarité avec nous, nous tous. Je n’ai pas la réponse ultime à la question du mal, mais je vois que Jésus a pris sur lui, par libre amour, comme dit l’apôtre, les cris, les larmes, les supplications des malheureux, que nous sommes tous.

En faisant de la croix la plus extraordinaire démonstration de la vérité de cette parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Il nous a tous aimés jusques là. Ce qui ne l’a pas empêché, très humainement, au plus fort de l’épreuve, de se plaindre de sa solitude. « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il a même souhaité que ce calice de douleur, si possible, s’éloigne de lui. « Père, sauve-moi de cette heure¨ »

Et pourtant, même avec cet excès d’amour, par lequel Jésus veut attirer toute l’humanité à lui, la croix ne serait encore qu’un gibet repoussant. Tout a changé -et c’est finalement notre seul espoir-, parce que ce crucifié est devenu le ressuscité de Pâques.

 Oui, un grand vivant, mais qui montre encore les cicatrices de ses plaies -il n’en a pas honte-, avec une promesse qui nous ouvre une merveilleuse espérance : « Là où je suis maintenant, mon serviteur et ma servante seront aussi avec moi. », à savoir dans la gloire de Dieu qui irradiera sur nous comme une houle de vie et de bonheur éternels.

Mais il ne faut pas jouer avec les mots, et surtout pas ceux-là. Notre salut, s’il est acquis dans notre frère aîné Jésus le Christ, il n’est encore qu’en espérance pour nous. Comme il l’a vécu lui-même, nous devons encore passer par la mort pour entrer dans la vie définitive. Et ce n’est pas rien.

Et en attendant, si nous avons la grâce de croire au mystère pascal -et tous n’y parviennent pas-, il est au moins une attitude que tous peuvent comprendre, apprendre et partager : « Nous savons, nous, que nous sommes déjà passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. » Ajoutons : à commencer par celles et ceux qui doivent porter une plus lourde croix, chez nous et jusqu’au bout du monde.

Alors seulement, si nous aimons en actes et en vérité, nous pouvons oser dire : « Salut, ò croix, notre unique espérance ! »

                                                                       Claude Ducarroz

 

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