Abus en Eglise. Aller plus loin!

 § La crise des abus dans l’Eglise catholique.  

Et maintenant ?

Dans la tempête médiatique qui accompagne la divulgation des abus sexuels dans l’Eglise catholique en Suisse, peut-on encore prendre quelque recul qui ne soit pas aussitôt interprété comme une offense aux victimes ? C’est évident :  l’heure est d’abord à l’accueil douloureux de ces tristes révélations, au soutien sans faille des personnes blessées, à la réparation des torts subis et au passage par la justice pour les fauteurs de tels délits lorsqu’ils sont avérés. Ose-t-on aller jusqu’au souhait du pardon libérateur, imploré par les coupables, offert par les victimes ? C’est une grâce typiquement chrétienne qu’on ne peut que désirer dans une humble prière.

Il nous faut aller beaucoup plus loin maintenant, surtout dans l’Eglise catholique, jusqu’à la conversion, jusqu’aux réformes. Encore convient-il de ne pas foncer sans réfléchir dans de nouvelles impasses.

Notre Eglise doit se réformer en profondeur. Mais vouloir l’affaiblir brutalement dans son rayonnement, voire creuser sa tombe au milieu de nous, c’est une tentation qui n’apportera aucun bénéfice à personne. D’une part, c’est oublier le cadeau de l’Evangile du Christ, porté par les Eglises, que les chrétiens de toutes confessions n’ont cessé de proposer à notre humanité, pour son bien temporel et éternel. Et d’autre part c’est faire fi des « valeurs ajoutées », d’origine chrétienne, que nos Eglises ont implantées largement dans nos civilisations, malgré leurs erreurs et parfois leurs horreurs. Au moment où certaines idéologies tentent de nous séduire sans augurer des lendemains meilleurs, il faut souhaiter au christianisme de nouvelles résurrections et non pas les derniers requiems.

Par ailleurs, concernant les serviteurs et servantes de l’Evangile en Eglises, comme il serait injuste de les stigmatiser tous sous le prétexté des trahisons inacceptables de quelques-uns. Nous sommes tous de pauvres pécheurs, ce qui n’excuse pas les crimes commis. Mais, comme vous sans doute, je connais encore beaucoup de ministres chrétiens imparfaits -hommes et femmes- qui s’engagent généreusement, au prix de nombreux sacrifices, dans les œuvres de la pastorale et dans les solidarités humaines. Ose-t-on encore leur dire merci ? 

Au point où nous en sommes, j’ai l’impression que notre Eglise se retrouve  comme au temps de la Renaissance (XVème-XVIème siècles), avec la même nécessité et la même urgence. A côté de saints et de saintes extraordinaires, l’Eglise exhibait alors un terrible état de délabrement théologique, moral et même politique. Ceux dont on attendait un sursaut pour de profondes réformes ont souvent échoué. Plusieurs conciles avortés, entre 1414 et 1517,  en sont la preuve. Il a fallu le prophétisme de réformateurs suscités dans les périphéries pour que souffle un vent de renouveau enfin effectif. Mais à quel prix ? Celui d’une grave fracture dont nous sommes tous co-responsables, et d’abord ceux qui, du côté de Rome, sont restés trop longtemps sourds aux pressants appels du peuple de Dieu. Nous avons même vécu des guerres de religion, entre chrétiens !

 Dans l’Eglise catholique, devenue une forteresse assiégée, le concile de Trente (1545-1563) a enfin promu de véritables réformes, mais sous le label, pas toujours fécond, d’une Contre-Réforme qui voulait surtout combattre frontalement les « innovations » protestantes.  Heureusement, aujourd’hui, le mouvement œcuménique redonne un espoir de communion universelle aux Eglises encore trop désunies pour présenter un témoignage vraiment crédible dans notre monde en quête de sens et de réconciliation.

Et voici que le pape François a lancé l’idée d’un synode, sur le thème « communion, participation et mission ». Il se déroulera en deux phases, en 2023 et 2024, après une vaste consultation des Eglises et communautés chrétiennes à travers le monde entier. De ces remontées inédites de la base catholique, il ressort un urgent besoin de réformes radicales, à l’instar de ce qu’exigeaient les chrétiens au 16ème siècle.

Les protagonistes de ce synode -parmi lesquels quelques laïcs, hommes et femmes – auront-ils la sagesse de réviser certaines doctrines concernant la gouvernance de l’Eglise ? Comme le souhaite le pape, va-t-on tordre le cou à un certain cléricalisme qui continue de provoquer des dégâts dans la gestion de nos communautés, par exemple dans les relations prêtres-laïcs ?  Aura-t-on la fraternité suffisante pour assimiler l’apport des autres Eglises chrétiennes dans la recherche d’une authentique unité dans les diversités respectées ? Osera-t-on intégrer pleinement les femmes dans les ministères d’Eglise, y compris ordonnés, malgré le poids d’une longue tradition fort contestable ? A l’instar de la tradition la plus ancienne, qui régit les Eglises d’Orient -y compris catholiques-, aurons-nous le bon sens de remettre en question l’obligation universelle du célibat pour les prêtres de l’Eglise latine ? Il ne s’agit pas de soupçonner le célibat en soi, car il peut être un beau charisme au service du ministère d’un prêtre heureux. Il s’agit de permettre le libre choix, ce qui devrait contribuer à assainir une certaine ambiance ecclésiastique devenue délétère.  Dans ce contexte, ne doit-on pas revisiter une certaine morale sexuelle à la lumière des découvertes reconnues des sciences humaines, mais sans disqualifier le témoignage si précieux des familles et des couples chrétiens en faveur de l’amour fidèle et durable dans une civilisation occidentale si fragile sur ces points ?  Dans la société humaine, notre Eglise aura-t-elle toujours le beau courage de soutenir celles et ceux, en son sein et au-delà, qui s’engagent résolument pour la défense de la dignité des personnes, pour la promotion des plus pauvres, pour l’accueil des exclus, en faveur de la justice, de la liberté et de la paix ? 

Personnellement, j’estime que le principal enjeu immédiat du synode réside dans la décentralisation de l’autorité à l’intérieur de notre Eglise. Il faut en finir avec le centralisme romain qui a si souvent confondu unité et uniformité. A partir de nos bases communes situées dans la foi apostolique, nous devons rendre aux Eglises régionales, sans mettre en danger la communion catholique dans l’essentiel, une réelle autonomie de réflexion et de décision. Cette culture de la confiance et de la subsidiarité permettra de trouver, dans des contextes variés, des solutions plus adaptées pour résoudre les problèmes actuels, y compris celui qui tourne autour des abus, qu’ils soient sexuels ou d’autorité.

Vaste programme. Mais je crois à la vigilance pastorale du Christ sur son Eglise à travers tant d’hommes et de femmes de bonne volonté, persévérants dans leur foi, solides dans leur espérance pour un meilleur avenir de leur Eglise et animés d’un amour actif et inventif. 

Finalement, notre mission n’est-elle pas de mieux servir la merveilleuse et parfois tragique humanité vers laquelle nous sommes toutes et tous envoyés «  à cause de Jésus et de l’Evangile », jusqu’à notre  entrée dans le Royaume de Dieu ?

Claude Ducarroz

De cet article, une version brève a paru dans le quotidien Le Temps du 20 septembre 2023



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