HOMMES-FEMMES : quelle égalité dans l'Eglise catholique? Le Temps du 7 nov. 2022 p. 2
Hommes-femmes
Quelle égalité dans l’Eglise catholique ?
Tandis que l’Eglise protestante de Genève se demande comment elle peut
« dé-masculiniser » Dieu, l’Eglise catholique romaine – à la faveur
d’un prochain synode qui devrait aussi « dé-cléricaliser »
l’institution – se propose de mieux écouter les femmes, « avec l’esprit et
le cœur ouverts, sans préjugés ».
On applaudit à cette bonne intention ! Mais ira-t-elle, pour tordre
le cou à l’antique patriarcat qui l’entrave, jusqu’à remettre en question
l’ordination au presbytériat, strictement réservée aux hommes (mâles) ? On
peut en douter, on n’ose l’espérer !
Chaque fois que l’on a tenté de replacer ce thème sur le tapis
ecclésial, Rome a aussitôt réagi en rappelant que l’Eglise catholique, depuis
toujours et pour toujours, ne s’estimait pas autorisée par la Parole de Dieu et
la Tradition, à déroger à cette règle en forme d’interdiction absolue. Certes
notre Eglise apprécie et encourage les femmes qui exercent toutes sortes de
services dans nos communautés chrétiennes. On peut et on doit élargir encore le
champ possible de ces engagements généreux, y compris jusqu’à certains organes
de conseil et de décision. Mgr Charles Morérod vient de le faire dans son
diocèse. On applaudit à ce geste prophétique. Mais pas question que les femmes
puissent franchir la frontière sacrée qui leur permettrait de devenir prêtre,
voire simplement diacre, a fortiori évêque.
La conclusion s’impose : dans notre Eglise, certains biens du
Royaume de Dieu – qu’on peut nommer des « grâces » - ne sont pas
accessibles à tous puisque les femmes – uniquement parce qu’elles sont femmes –
ne peuvent prétendre exercer les ministères ordonnés, alors même qu’elles en
ressentiraient l’appel, moyennant discernement, formation et consécration.
Osons le dire ! Il y a là une discrimination de moins en moins
acceptée et acceptable. Encore faut-il en comprendre la motivation dans
l’histoire de l’Eglise.
Pour en rester au Nouveau Testament, deux courants irriguent les textes
de référence ainsi que la pratique ecclésiale subséquente.
Sans oublier le rôle éminent de certaines femmes dans le mystère du
Christ – à commencer par sa mère Marie de Nazareth -, il faut reconnaître que
Jésus n’a choisi ses apôtres que parmi des hommes dont on connaît les noms et
reconnait la mission singulière. Mais retenons aussi que ce même Jésus n’a
cessé, dans ces relations avec les femmes, d’exhiber une liberté étonnante et
une audace prophétique, nonobstant les us et coutumes en vigueur en ce temps et
en ces lieux. De nombreuses femmes furent pleinement du nombre de ses
disciples. Beaucoup – quelle bravoure ! – le suivirent pas à pas, et même
jusqu’au bout, au pied de la croix. Par certaines femmes au profil marginal,
Jésus s’est laissé toucher, ce qui n’a pas manqué de scandaliser les apôtres et
d’autres notables masculins. On le lui a fait savoir. Mais Jésus a persisté en
leur donnant en exemple la foi de quelques femmes. Plus encore :
ressuscité, il est d’abord apparu à une femme – Marie de Magdala – en lui confiant
la mission d’aller annoncer cette « bonne nouvelle » aux apôtres, au
point que certains théologiens n’ont pas hésité à la désigner comme
« apôtre des apôtres ». Dès lors, déduire du fait que les 12 apôtres
étaient des hommes, une volonté du Christ d’exclure à jamais les femmes des
ministères ordonnés, est une interprétation très contestable, soit des textes
bibliques, soit de l’attitude même de Jésus à l’égard des femmes. Aurait-il
voulu cette exclusion, personne n’en donne la raison profonde de manière
crédible.
Le constat est le même quand on étudie les lettres de saint Paul.
Soucieux d’organiser correctement les activités dans les communautés, il suit
spontanément les traditions dominantes en son temps. C’est pourquoi il impose
aux femmes des comportements qui reflètent fidèlement la société patriarcale en
vigueur. Mais quand il s’élève au niveau des principes fondés sur la nouveauté
évangélique, Paul devient libre et libérateur, au point d’oser affirmer que,
compte tenu de la révolution chrétienne, toute discrimination doit être bannie,
y compris celle qui s’appuierait sur la différence sexuelle homme-femme. Dans
le Christ, répète-t-il, c’est l’égalité parfaite, sans aucune discrimination.
(cf. Gal 3, 26-28)
On peut s’étonner que, dans le développement du christianisme, la ligne
d’adaptation aux mœurs de la société ambiante ait le plus souvent prévalu sur
la nouveauté prophétique générée par l’annonce de l’évangile. Sans doute, des
mouvements et des institutions ont-ils parfois apporté aux femmes des formes de
libération et de promotion, notamment par la vie religieuse. Mais il faut
avouer que le patriarcat, y compris jusqu’à un cléricalisme prégnant, a
longtemps donné le ton dans l’histoire de l’Eglise et des Eglises. Jusqu’à ce
jour par exemple, dans les mondes catholique et orthodoxe, on n’a jamais
envisagé sérieusement l’accès aux ministères ordonnés pour les femmes, ce qui
revient à les priver d’une part importante des grâces issues de la mise en
pratique de l’évangile. Il en va tout autrement dans les Eglises réformées,
même si la fonction pastorale ne coïncide pas en tous points avec le ministère
dit « sacerdotal ». Par exemple à Genève, la première femme consacrée
« pasteure » est déjà signalée en 1929.
Il faut pourtant rappeler que, même dans l’Eglise catholique chez nous,
des demandes allant dans le sens d’une possible ordination des femmes ont été
clairement exprimées. Ce fut le cas au synode suisse de 1972, comme à
l’assemblée diocésaine AD 2000 pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.
Quoique prudentes, ces pétitions sont tombées rapidement dans les oubliettes
des autorités ecclésiastiques masculines, les seules à décider en ces matières.
Qu’on me comprenne bien. L’ordination de femmes – comme celle d’hommes
mariés dans notre Eglise latine – apporterait certainement un supplément
bienvenu à la quantité et à la qualité des services en Eglise. Encore faut-il
que les communautés elles-mêmes soient préparées à accueillir de telles
nouveautés avec bienveillance et même reconnaissance. De plus, il n’est pas
question de prétendre que l’engagement de femmes-prêtres déferait par miracle
tous les nœuds liés au pouvoir et au cléricalisme. Chaque virage important dans
la vie de l’Eglise apporte son lot de nouvelles grâces, mais aussi son poids de
nouveaux problèmes.
Ce qui est en jeu n’est pas de l’ordre d’un bénéfice utilitaire
immédiat, mais plutôt l’exigence d’une conversion à la logique de l’évangile,
lequel place tous les baptisés dans le bain d’une même grâce universelle quand
il s’agit de témoigner du salut christique dans le monde, chacun selon ses
charismes. Le fait que, dans notre monde précisément, les femmes luttent
désormais pour plus de respect, de dignité et d’égalité ne peut qu’encourager
notre Eglise à revisiter ses sources en vue de courageuses décisions, en
conformité avec le « féminisme » de Jésus.
Claude Ducarroz
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